Le Musée de la Vie Romantique nous propose un voyage dans la production culturelle du Paris du XIXème. Cette période riche de l’Histoire du théâtre en France fut marquée par de nombreuses évolutions. Tous les arts de la scène ont connu de grands bouleversements tout au long du XIXème siècle : le théâtre, le ballet, l’opéra etc.
Le théâtre devient un divertissement pour toutes les couches sociales au cours du XIXe siècle avec une grande variété de salles et de genres. C’est aussi l’époque de l’extraordinaire célébrité des comédiens comme Talma, Frédérick Lemaître (cf. le film de Marcel Carné Les Enfants du Paradis), Marie Dorval, Mlle Rachel ou Sarah Bernhardt.
Les nombreux genres qui s’épanouirent dans les théâtres parisiens ouvrirent la voie à des bouleversements majeurs dans les arts scéniques. La pantomime, le vaudeville, la comédie, le mélodrame proliféraient dans les nombreux théâtres qui ouvrirent leurs portes essentiellement dans le célèbre quartier du Boulevard du Temple.
Considérant la richesse de l’exposition et le fait que je n’ai pas été autorisée à prendre de photos, cette chronique vous sera présentée davantage comme un compte-rendu que comme une chronique. De ce fait, j’ai décidé de vous présenter le contenu de l’expo en deux partie, la première, ci-présente parlera du théâtre romantique et des décorateurs de l’époque, présentés lors de l’expo, la seconde partie traitera du ballet romantique et des costumiers de l’époque.
Du théâtre classique au théâtre romantique
Pour mieux comprendre la rupture qui s’opère à cette époque, il convient de rappeler les traditions qui ont forgé les arts de la scène jusqu’en 1830. Les grands auteurs classiques tels que Shakespeare ou Molière étaient réputés pour l’art des mots, les textes étaient déclamés d’un air solennel, c’était avant tout le texte qui était célébré. Pour les auteurs émergents comme Hugo, Goethe ou Byron, c’est le romantisme qui transparaît avec ses idéaux et ses thèmes mythologiques venus d’Allemagne ou d’Angleterre. Ainsi les thèmes romantiques prolifèrent dans les œuvres théâtrales et lyriques. C’est cette esthétique qui provoque un bouleversement des arts scéniques.
Le début du XIXème siècle marqua la fin de la théâtralité telle qu’elle s’exerçait depuis les grands auteurs classiques. Jusque là, le théâtre classique répondait à un ensemble de lois glorifiées par Racine depuis la seconde moitié du XVIIème siècle. Rappelez-vous la règle des trois unités (unité de lieu, de temps et d’action).
Avec l’essor du théâtre romantique, c’est le fondement même du théâtre qui est remis en question. Victor Hugo en expose les principes dans la Préface de Cromwell. Ainsi, le théâtre prend une nouvelle forme de dramaturgie qui doit répondre à 5 nouvelles règles :
– la reproduction de la vie réelle
– le rejet des règles classiques des trois unités
– la liberté classique
– le maintient de la versification
– la peinture d’une « couleur locale »
La multiplication des genres et des lieux de représentations
Paris était considérée comme la capitale internationale du théâtre et donna lieu à une prolifération de lieux de représentation qui encouragèrent encore davantage la production de spectacle. On compte presque autant de lieux de représentations que de genres différents. Les théâtres sont souvent dédiés à un genre en particulier et se succèdent en raison de dettes. Ainsi, le Théâtre des Nouveautés ouvre en 1827 et présente des vaudeville et comédies. Il fait faillite en 1832 et devient l’Opéra Comique jusqu’en 1839 pour finir en Théâtre du Vaudeville de 1840 à 1860.
Je trouve intéressant de rappeler une anecdote qui illustre à merveille la place de choix qu’occupaient les théâtres au XIXème siècle. En 1820, l’Opéra de Paris est détruit par Louis XVIII, Paris se trouvant sans salle de spectacle, le monarque fit construire un opéra provisoire, l’Opéra de la rue Le Peletier, inauguré en 1821. Il a été notamment immortalisé par le peintre Degas, qui y peignait ses célèbres danseuses. Opéras et ballets s’y succédèrent et c’est l’incendie de 1873 qui anéantit le bâtiment. C’est sa fin prématurée qui a précipité l’achèvement d’une autre fameuse construction : l’Opéra Garnier, achevé en 1875 : https://www.operadeparis.fr
J’aime rappeler l’échange verbal de 1869 entre Eugénie et l’architecte Charles Garnier présentant au couple impérial la maquette du nouvel opéra parisien :
– Mais cela ne ressemble à rien, Monsieur Garnier, cela n’a pas de style !
– C’est du… Napoléon III, Madame !
A voir sa magnificence, ses dorures, ses loges majestueuses, on a du mal à croire qu’il s’agissait d’un bâtiment provisoire. Et il est encore plus étonnant de constater qu’un lieu provisoire ait été utilisé pendant plus de 50 ans.
Les théâtres indépendants fleurissent en marge du théâtre conventionné, ce qui permet la prolifération de nouveaux lieux. Ils se regroupent majoritairement Boulevard du Temple. C’est un lieu riche et vivant où tous les divertissements sont représentés : funambules, jongleurs, comédiens etc. Les parades invitent les spectateurs à participer à de petites scénettes destinées à attirer les foules au spectacle. Vers 1820, les célèbres Bobèche et Galimafré sont souvent représentés dans cet exercice de pitreries magistrales, rappelant en quelques sortes les représentations du théâtre Élisabéthain qui avaient lieu en pleine rue.
Le drame romantique devient le genre qui s’imposa comme l’incarnation de cette nouvelle esthétique romantique. Mais le théâtre de genre perdura à travers de nombreuses autres formes dramaturgiques : la comédie, le vaudeville, la pantomime, etc.
Les œuvres les plus représentatives de cette nouvelle esthétique sont Hernani (1830) et Ruy Blas (1838) de Hugo et On ne badine pas avec l’amour (1834) de Musset.
Le théâtre romantique cédera ensuite la place au mélodrame à rebondissements, lequel se caractérise par une victoire systématique des bons sur les méchants, ce qui en fera un genre populaire à grand succès.
D’autres formes de théâtre pendant le siècle va coexister, il est possible de citer le théâtre de boulevard avec le vaudeville auquel est associé amusement et satire conventionnelle et que certaines personnalité en parle avec des crayons comme Labiche, Courteline ou Feydeau.
Le théâtre musical s’installera lui aussi dans la deuxième moitié du siècle avec l’opérette et l’opéra comique que représentent bien les œuvres d’Offenbach. L’histoire littéraire garde le souvenir de tentatives de renouvellement à la fin du siècle comme le Théâtre-Libre et son regard sombre sur le monde contemporain ou le théâtre symboliste avec sa force de suggestion et ses correspondances poétiques (Pelléas et Mélisande de Maeterlinck en 1892, mis en musique par Debussy).
Il est possible de retenir aussi quelques autres aspects particuliers de la période comme le théâtre de provocation burlesque d’Alfred Jarry, le théâtre à la fois lyrique et épique, d’Edmond Rostand avec ses alexandrins flamboyants (Cyrano de Bergerac env1899 ou L’Aiglon en 1900) ou les premières œuvres, catholiques et patriotiques, de Charles Péguy comme Jeanne d’Arc en 1897.
Le jeu de comédien
Les nouveaux enjeux du théâtre prennent leur sens à travers de nombreux bouleversements qui eurent lieu tout au long du XIXème siècle, le jeu des acteurs, les décors et les costumes en furent complètement transformés.
C’est certainement Talma le comédien le plus célèbre de cette période. Il a réformé le jeu du comédien grâce à un certain nombre d’évolutions de la déclamation, de la gestuelle et même des costumes. Jusque là, il était normal de jouer une pièce dans des costumes contemporains. Il était tout à fait normal de jouer Macbeth ou Œdipe en costume du XVIIIème siècle. Mais la révolution a consisté à proposer une représentation de pièces antiques en toges et pieds nus ou de Macbeth en costume médiéval. C’est là toute la révolution entreprise dans l’ensemble des arts scéniques au XIXème siècle.
L’acteur n’est plus glorifié par ses déclamations mais par ses rôles de composition. Ainsi, certains peintres représentent un acteur dans ses nombreux rôles au sein d’une même composition graphique. Par exemple, le peintre Darjou représente l’acteur Bouffé dans une vingtaine de rôles différents allant du gamin parisien (16 ans) au père Turlututu (100 ans moins 3 semaines), mettant en valeur le travail de comédien qui incarne une galerie de personnages.
Jusqu’au XVIIIème, les hommes jouaient tous les rôles. Mais le souci de vraisemblance laisse des femmes incarner des rôles féminins, et c’est toute une génération d’actrices qui émerge à cette époque. Toutes les actrices étaient appelées Mademoiselle car elles n’avaient pas le droit de se marier, bien qu’elle étaient souvent la femme de l’auteur, du metteur en scène etc. Elles ne pouvaient pas non plus bénéficier d’un enterrement religieux.
Les comédiennes les plus célèbres étaient Mlle Rachel, Mlle George, Mlle Mars… Elles étaient reconnues pour leur grande beauté, ce qui ne change pas tellement des actrices d’aujourd’hui, mais aussi pour leur jeu en rupture avec les règles du théâtre classique.
Mlle Rachel était célèbre pour ses interprétations des tragédies classiques (Corneille, Racine). Elle a travaillé à l’Académie de Musique de la rue Lepeletier. Elle était également connue pour la guerre qui l’opposait à Mlle Duchesnois, qui continuait à défendre les règles du théâtre classique contre cette nouvelle école dramatique.
Mlle Mars était célèbre pour ses rôles de coquettes et de marquises. Elle était également la protégée de Napoléon.
Mlle George suscitait des critiques mitigées qui lui reprochaient un jeu ingrat, en comparaison de sa grande beauté.
On peut également citer parmi les comédiens célèbres de la période Jean-Baptiste Chollet, Marie Dorval (pour son rôle de Phèdre) ou Mounet-Sully (pour son rôle dans Oedipe Roi).
Les décors de théâtre
La mise en scène est directement concernée par la révolution romantique. Le grandiose prévaut alors sur le texte et le fond. L’accent est mis sur le décor et les costumes qui doivent désormais traduire une réalité, mais dans une magnificence toujours grandissante.
Puisque le théâtre ne doit plus répondre à la règle de l’unité de lieu, les pièces multiplient les tableaux, encourageant la création de nombreux décors plus somptueux les uns que les autres. Les critiques reprochaient d’ailleurs souvent le manque de fond de l’intrigue mais louaient la beauté et la qualité des décors et des costumes. Par exemple, la représentation des 1001 Nuits au Théâtre du Châtelet met en scène 38 tableaux (donc décors différents), 2800 costumes, 3 éléphants, 20 chiens etc. Ceci illustre à merveille la démesure de ces scénographies.
Il y a souvent différents niveaux de perspective dans un même décor : différents plans horizontaux séparés par des haies, des murs, des colonnades mais également verticaux avec des étages représentant par exemple les bas-fonds d’une crypte ou l’élévation d’une nef majestueuse. Les décors étaient entièrement recouverts de fresques peintes par les artistes du moment, comme Chaperon, Riquier ou encore Cicéri qui excella de 1804 à 1848.
L’une des salles les plus magnifiques de cette exposition est à mon sens la salle des gouaches de Chaperon, célèbre décorateur du XIXème siècle. Il connut un grand succès dans les années 1860-1870 pour ses décors somptueux empruntés à l’esthétique romantique. Ses thèmes de prédilection sont les décors de forêts, les ruines gothiques, les cryptes et couvents, mis en lumière dans une esthétique de romantisme noir que l’on doit aux auteurs allemands et anglais.
Les nombreuses gouaches et esquisses présentées nous permettent de mesurer la diversité des thèmes : antique, oriental, chrétien, féérique etc. Les didascalies des pièces plongent le spectateurs dans autant d’univers exotiques, fantomatiques et inquiétants propres au romantisme. Puisque je n’ai pas eu l’autorisation de prendre de photos, je vous laisse imaginer les décors grâce aux didascalies que j’ai recopiées :
« L’Atlantide », Voyage à travers l’impossible, 1882, théâtre de la Porte Saint Martin
« Terrasse du Palais de César au Mont Palatin », Caligula, 1836 au théâtre Français et 1888 au théâtre de l’Odéon
« Crypte souterraine chez les Capulet », Roméo et Juliette, acte 5, 1867 au théâtre Lyrique et 1873 au théâtre de l’Opéra Comique
« Salle tendue de deuil avec un balcon d’où on voit la ville de Londres », Marie Tudor, acte 4, 1873, théâtre de la Porte Saint Martin (créé par Hugo en 1833)
« grève déserte au bord de la Seine », Le Roi s’Amuse, acte 4, 1832 et 1882 au théâtre Français
« habitation gauloise », Amrha, 1882 au théâtre de l’Odéon
« salle du Palais ducal de Ferrare », Lucrèce Borgia, acte 2, Théâtre de la Gaité
« salle du conseil de l’Amirauté de Lisbonne », L’Africaine
« l’Isba du télégraphe », Michel Strogoff, 4ème tableau, 1880 théâtre du Chatelet
« Chapelle basse dans le dôme de Pise », Severo Torelli, acte 5, 1883 théâtre de l’Odéon
Grâce à Gallica, le site de la BNF, j’ai réussi à retrouver des études de décors de Chaperon. Hélas, à part la crypte de Roméo et Juliette, je n’ai pas réussi à retrouver ceux qui étaient présentés lors de l’expo. Une bonne raison de ne pas la manquer : vous en aurez pleins les mirettes.
Dans une salle annexe de l’exposition, ce sont différentes maquettes de scénographies qui sont exposées : une maquette de décor de Chaperon pour les Huguenots et deux maquettes de Riquier pour La Poule aux œufs d’or, une « rustique ouvrant sur la campagne »et le « Poulailler doré ».
Il faut imaginer qu’en plus des décors, la mise en scène proposait de nombreuses innovations. Par exemple, l’invention de l’éclairage au gaz permettait de créer des ambiances lumineuses plus travaillées qui mettaient en valeur les phénomènes mystiques et naturels (un clair de lune, une lumière divine etc.). C’est Daguerre qui fut célèbre pour la mise en scène des phénomènes naturels (clair de lune, éruption volcanique, mer agitée etc.). Il travailla au théâtre de l’Ambigu-Comique, dédié au mélodrame jusqu’à l’incendie de 1827.
Une autre innovation, le Diorama consistait à créer des scènes d’un très grand réalisme. Il mêlait des éléments animés aux personnages comme des animaux, des jeux d’eaux, des jeux de lumières… Le travail des éclairages consistait le plus souvent à éclairer des toiles transparentes tendues, soit par réflexion, soit par réfraction, ce qui produisait un effet fantomatique très utilisé dans la scénographie.